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Annonces immobilières distinguées

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Quoi de plus banal qu’une devanture d’agence immobilière ? Une série d’annonces bien visibles, chacune comportant quelques photos, un descriptif minimal, un prix, et c’est tout!

Mais dans les agences des quartiers cossus, le prix élevé d’un bien ne suffit pas à distinguer une offre destinée aux clients fortunés. Il est indispensable pour les annonceurs de créer une hiérarchie, de différencier les affiches qui ne s’adressent qu’aux acquéreurs les plus riches. Pour mettre en valeur les biens hauts de gamme, les agences utilisent parfois un dispositif bien connu issu du monde des musées, le cadre pompeux et intimidant:

Avec cette signalétique boursouflée, ce ne sont plus des photos qui sont affichées, ce sont des œuvres, des objets onéreux et rares qui méritent attention et respect.

Plus discret et utilisé aussi de temps à autre dans la muséographie contemporaine, l’encadrement lumineux de l’annonce peut aussi servir à attirer l’attention sur une sélection, à distinguer une offre particulière:

À l’inverse, certaines échoppes systématisent l’usage de l’encadrement, conduisant à un amoncellement kitsch qui semble tout aussi bricolé que la typographie pseudo-manuscrite qui l’accompagne:

Dans plusieurs de ces installations, la permanence du cadre sous des formes tapageuses et prétentieuses s’appuie sans doute sur le goût d’une clientèle potentielle de parvenus, un goût bourgeois un rien vulgaire.

L’indicialité rêvée

La photographie d’annonce immobilière est naturellement perçue comme documentaire. Même s’il n’est pas dupe et sait fort bien que les images présentées en vitrine doivent être alléchantes, le client potentiel présume que les clichés représentent au mieux le bien proposé. Le schème convoqué est indiciel; l’image prétend être une trace, un indice de la réalité, elle proclame « c’est ainsi » (plus encore que « ça a été »)1.

Il peut alors sembler étrange que certaines agences infligent aux photos présentées des transformations qui les éloignent considérablement du schème indiciel attendu. Les couleurs saturées et décalées donnent alors une impression de scènes irréelles:

Pour une meilleur lisibilité, les photos de l’annonce ci-dessus peuvent aussi être retrouvées sur le site de l’agence (elles sont visibles non altérées dans une autre agence):

Plus besoin de cadre quand les images sont pictorialisées.

Une rapide analyse montre que ces deux clichés proviennent d’un traitement HDR et plus probablement d’une transformation en correspondance de tons réalisée à l’aide du logiciel Photomatix Pro.

L’effet obtenu est tout de même un peu déconcertant dans un contexte où l’observateur s’attend à rencontrer une image indicielle, ou tout au moins une image à prétention documentaire représentant la réalité avec un degré élevé de fidélité – réquisit qui paraîtrait indiquer que la production d’images de biens immobilier exclut tout post-traitement important. Paradoxalement, ces artefacts fonctionnent comme des images projectives2. Cependant, ces images ne projettent pas l’observateur intrigué dans un passé, un futur ou une fiction insaisissable, mais dans un monde onirique parfaitement accessible. Ces images sont des promesses à portée de bourse et illustrent un discours auquel on peut s’attendre lorsque l’on franchit la porte de l’agence: « si vous achetez cet appartement ou cette maison, vous habiterez dans un rêve ».

  1. Ça a été (visualisé), 7 février 2012.
  2. L’image dans ses usages projectifs, réflexions de synthèse, par Raphaele Bertho et Marie-Madeleine Ozdoba – 3 septembre 2013.

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